- MUSICALES (TRADITIONS) - Musique hébraïque
- MUSICALES (TRADITIONS) - Musique hébraïqueL’héritage musical du peuple d’Israël est caractérisé par trois mille ans d’histoire et par l’impressionnante variété de ses constituants. De nombreuses cultures musicales sont à l’arrière-plan de son évolution: celles des civilisations antiques et helléniques à l’époque des patriarches et des Temples, et celles de tous les pays de la Diaspora pendant environ deux mille ans de dispersion. Des musiques différentes l’une de l’autre, savantes et populaires, patrimoine des communautés d’Orient et d’Occident, se côtoient aujourd’hui dans l’Israël moderne, auxquelles il faut ajouter la nouvelle musique israélienne à la fois artistique et populaire. Devant cette pluralité, une question de principe s’impose: est-il possible de trouver un dénominateur commun à ces éléments apparemment disparates permettant de les réunir sous un même toit?Pour répondre à cette question épineuse, il faudrait essayer d’examiner le répertoire de chaque groupe par rapport à un point de référence idéal, c’est-à-dire une possible origine commune d’avant la dispersion, et par rapport à la musique indigène du pays dans lequel le groupe a vécu. Or, en l’absence de tout document noté de la musique d’autrefois, on en est réduit à forger des hypothèses dont la principale est celle qui recourt, de nos jours, aux principes et méthodes ethnomusicologiques. C’est surtout dans les formes de la cantillation qu’on recherche les origines lointaines.En ce qui concerne le second point, il est admis que, malgré la parenté certaine avec la musique indigène, les emprunts sont modifiés par les nouvelles fonctions, les nouveaux détenteurs et par une certaine transformation qui leur confère un caractère particulier.1. L’époque bibliqueLes tentatives de reconstitution de la musique et de la vie musicale à l’époque biblique se fondent principalement sur les nombreuses références contenues dans les écrits bibliques – source la plus riche portant sur les aspects divers de l’activité musicale. Cependant l’interprétation des renseignements ainsi obtenus se heurte à de sérieuses difficultés. Parfois on ne sait pas exactement à quoi correspondent le nom d’un instrument, un terme technique, une tête de psaume, etc. Mais, grâce aux résultats des fouilles archéologiques, aux études philologiques, aux documents extérieurs à la Bible et enfin aux principes et méthodes de l’ethnomusicologie, quelque lumière a été jetée sur une partie des obscurités.La première référence relative à la musique dans la Bible est celle qui attribue l’invention de la musique et de ses instruments à Juval (Genèse, IV, 21). Pendant l’époque nomade et jusqu’à l’institution de la royauté, la musique mentionnée est de nature plutôt folklorique. Il s’agit de chants et de danses de guerre et de triomphe, de lamentations, de réjouissances populaires et de l’évocation de thèmes tels que l’eau (le chant du puits: Nombres, XXI, 17-18), sujet de préoccupation dans cette contrée. À l’exemple de la société bédouine, la femme occupa une place importante dans ce genre de manifestations (Tzila, Myriam, Deborah, la fille de Jephté). La forme d’exécution prédominante semble être celle du chant responsorial. Le style responsorial actuel, très en faveur dans la musique folklorique du Proche-Orient, permettrait d’imaginer ce qu’il fut autrefois.La musique de cette époque a servi aussi à d’autres fins, notamment à exalter les prophètes, et comme agent thérapeutique (l’effet de la lyre de David sur Saül).Les instrumentsLes instruments alors en usage sont le tôf (tambour sur cadre), la ha ルo ルrah (trompette), qui servait de signal dans différents buts d’ordre militaire ou cultuel, et le šofâr (corne de bélier), qui servait également de signal à l’occasion; la sonorité rude de cet «instrument» était de tout temps assimilée à des pouvoirs extra-naturels: le šofâr accentue le sentiment d’effroi lors de la révélation divine sur le mont Sinaï (Exode, XIX, 16), il cause l’effondrement des murs de Jéricho (Josué, VI, 6-20) et il est utilisé comme stratagème de guerre par Gédéon (Juges, VII). Plus tard, quand il deviendra le seul instrument admis dans le culte synagogal, il sera chargé de résonances mystiques tout en conservant son pouvoir magique. Son rôle le plus important consistera dans la lutte contre les forces du mal qui cherchent à empêcher l’homme de se débarrasser de la souillure de ses actes. Il devient aussi puissance capable d’attribuer ou même de forcer la grâce divine.Avec l’institution de la royauté et le développement d’une société sédentaire s’élabore une musique raffinée; les instruments se perfectionnent, et une classe de musiciens professionnels prend naissance. À ce stade, la musique joue un rôle important aussi bien dans la vie séculière que dans le culte du Temple.La musique du TempleDéjà vers la fin de l’époque du premier Temple, la musique occupe une place de choix dans le culte. Du temps du roi David, on comptait quatre mille lévites sachant chanter et jouer d’instruments; au retour de l’exil, avec Esdras, il y avait trois cent vingt-huit musiciens. Les musiciens du Temple appartenaient à des familles de la tribu de Lévi et étaient organisés en vingt-quatre ensembles groupant douze musiciens chacun. Leurs fonctions se transmettaient de père en fils, et leur art était jalousement gardé. Vers la fin de l’époque du second Temple, il y avait douze chanteurs et douze instrumentistes. L’ensemble orchestral se composait de neuf kinnorôt (lyres), de deux nevalîm (une variété de lyre) et d’une paire de cymbales. Leur répertoire chanté et accompagné était constitué par les psaumes qui représentaient différentes catégories lyriques, différents styles d’exécution – dont le responsorial et l’antiphonal (à quoi il faut ajouter beaucoup d’indications d’exécution énigmatiques) – et un grand nombre d’instruments: le ムalîl (flûte ou instrument à anche), les minnîm (instruments à cordes), le ‘uggâb (harpe?), les ルil ルelîm (cymbalettes), etc. Le nombre total d’instruments mentionnés dans la Bible est de seize, y compris l’«orchestre» de Daniel qui comprenait des instruments d’origine hellénique. L’influence hellénique se traduit aussi par l’institution des théâtres et par la participation aux jeux de gymnases.2. La musique synagogale à travers les âgesL’institution de la synagogue précéda la destruction du second Temple et la période d’exil. Dans ce lieu de recueillement, la prière intime vient remplacer le faste cérémoniel de la musique du Temple et le délégué de la communauté (šalîya ム ルibbûr ) – fonction assumée par différents membres – signale la disparition de la classe des musiciens professionnels devant appartenir aux descendants de la tribu de Lévi. Ayant été réservée à une fonction bien précise, toute la musique savante, vocale ou instrumentale, devait tomber en désuétude avec la destruction du second Temple. La musique synagogale reposait à ses débuts sur quelques formes de base: la cantillation de la prière, la lecture solennelle des textes bibliques et la psalmodie. Dans toutes ces formes, la musique est reléguée au second plan et ne sert qu’à mettre en valeur la signification du texte et à accentuer le sentiment de dévotion. Aussi bannit-elle les instruments de musique et n’en retient-elle que le šofâr , qui est encore actuellement en usage dans l’office du jour de l’An et du jour des Expiations. Bien que la raison admise de ce bannissement soit le deuil consécutif à la destruction du Temple, il semble qu’il y eut d’autres motifs, notamment la volonté de ne pas distraire l’attention du texte de la prière et la crainte d’assimilation avec des manifestations profanes pouvant contaminer la sainteté de la prière.La cantillationLa cantillation biblique est l’une des formes les plus anciennes de la musique synagogale. Elle a donné lieu, du VIe au IXe siècle, à l’élaboration des systèmes de représentations graphiques des レe‘amîm (accents). C’est le système dit «tibérien» attribué à Aaron ben Ašer (Xe s.) qui s’est imposé. Classé en レe‘amîm disjonctifs, ou «rois», et en レe‘amîm conjonctifs, ou «servants», les レe‘amîm indiquent des formules mélodiques qui, en dehors de leur signification musicale, ont une signification grammaticale. Les mêmes signes d’accentuation indiquent des formules mélodiques dont le contour varie selon qu’il s’agit du Pentateuque, des Prophètes ou des différents livres d’hagiographes. L’interprétation de ces formules change suivant les communautés. À cet effet, quatre principales familles de lecture sont à signaler: la yéménite, l’ashkénaze, la séfarade et la sud-marocaine. Il y a généralement des formules utilisées dans l’enseignement et d’autres qui appartiennent à la lecture solennelle. Dans les communautés du Proche-Orient en particulier, il y a deux espèces de lecture, une simple et une autre fort ornée qui parfois s’apparente nettement à des éléments de la musique savante.Le «piyyû size=5レ»L’introduction, à partir du VIe siècle, de la poésie religieuse dite piyyu レîm est certainement un fait déterminant dans l’évolution de la musique synagogale. Il semble que cette poésie, conçue suivant des principes prosodiques évolués, ne fut pas un simple ornement de la prière de base mais une aspiration de rénovation. Depuis lors, cet état d’esprit est demeuré en permanence et la puissance créatrice dans ce domaine est un phénomène valable jusqu’à nos jours, avant tout dans les communautés non européennes. La création des piyyu レîm est assimilée, surtout dans les documents de la Genizah du Caire, avec la ムizânah (art du chantre), autre notion importante qui voit le jour à peu près à la même époque. En effet, l’exécution du piyyû レ à ses débuts était destinée au chantre ( ムazzân ) et non pas aux fidèles. On peut par conséquent saisir toute la portée musicale de ce genre nouveau. Parallèlement à la cantillation simple de la prière de base en prose, on introduit dorénavant des chants qui laissent au chantre une marge d’improvisation. Cela conduit à des mélodies qui seront empruntées aux musiques indigènes. En Orient et en Occident se répand l’usage d’indiquer, au-dessus du piyyû レ, la mélodie d’un autre piyyû レ connu, ou d’une toute autre mélodie, qu’il convient d’adopter pour celui-ci, et même parfois le ma ラâm (mode mélodique). Ce genre se diversifie et s’étend au chant paraliturgique (circoncision, mariage, lamentation funéraire, etc.). Après sa première période palestinienne, le piyyû レ fleurit de façon remarquable, au contact de la poésie du monde musulman surtout, pendant l’âge d’or de la poésie hébraïque en Espagne. Il atteint le troisième sommet de son évolution dans le milieu cabalistique à Safed (Palestine) au XVIe siècle. Les hymnes mystiques en hébreu et en araméen des auteurs appartenant à ce cercle se propagent à travers toutes les communautés juives de la Diaspora. Plusieurs hymnes sabbatiques viennent de ce milieu, ainsi que l’idée de la réception chantée du šabbat telle une reine. C’est grâce à cette idée, conférant à la musique et à la prière, surtout la nuit, un pouvoir contre les forces du mal et une exaltation mystique, que se constitue un genre nouveau des supplications (baqqašôt ) où la musique joua un rôle prépondérant. Les baqqašôt sont célébrés avant l’aube durant les šabbat d’hiver. C’est là probablement que naquit la confrérie des «Guetteurs du matin» qui se propagea à travers différents pays, notamment en Italie. Il existe une cantate composée à Modène pour cette confrérie par Carlo Grossi (seconde moitié du XVIIe s.). Israël Na face="EU Caron" ギギârah (1550-1620) en Orient et Rabbi Šhalem Šabazi (XVIIe s.) au Yémen sont considérés comme les plus célèbres poètes d’hymnes mystiques.« size=5ネazzân» et « size=5ムazzanût»L’expansion de la poésie religieuse et l’amplification des parties chantées à l’office contribuèrent à l’institution du chantre professionnel ( ムazzân ) et à l’accroissement des emprunts aux musiques profanes et religieuses indigènes. Cela n’alla pas sans susciter des oppositions qui tentèrent de freiner ou d’apprivoiser les influences étrangères. Tandis que dans la Diaspora non européenne les emprunts appartenaient eux-mêmes à une musique traditionnelle apparentée et s’effacèrent par conséquent plus facilement dans le répertoire traditionnel sans causer une dénaturation sérieuse, il n’en est pas de même pour le chant synagogal traditionnel de l’Europe. Les deux points de référence de ce chant sont les mélodies dites missinây (du mont Sinaï), codifiées par Maharil (1355-1422), et les «modes» de la prière, les steiger . L’introduction des mélodies nouvelles, voire des compositions liturgiques, l’adoption du langage musical de l’époque conduisirent peu à peu au rejet intentionnel des éléments caractéristiques du chant synagogal traditionnel. Cette tendance, qui se fait jour en Europe de l’Ouest et du Centre, surtout en Italie, déjà au XVIe siècle, se traduit à son plus haut degré par l’assimilation de la musique occidentale savante. À cet effet, il convient de mentionner Salomon Rossi, le plus célèbre des compositeurs juifs, auteur de trente-trois compositions hébraïques liturgiques, publiées à Venise en 1622-1623. Au XIXe siècle, le phénomène se généralise et s’étend avec les mouvements de réforme sur toute l’Europe occidentale et centrale.En Europe orientale, la ムazzanût subit lentement l’influence de la musique savante occidentale. Néanmoins, le rôle du chantre professionnel reçoit une importance toute particulière. Il est appelé à émouvoir le fidèle par sa voix haute et nasillarde, par le pouvoir expressif et le cycle personnel de son improvisation. La virtuosité, la stylisation et le professionalisme qui caractérisent cette ムazzanût la distinguent de celle des communautés non européennes qui, dans l’ensemble, est plus spontanée et à la portée de tout homme ayant une bonne oreille et une voix agréable.3. La musique hassidiqueLe mouvement hassidique en Europe orientale, tout en négligeant la ムazzanût comme telle, attache une importance capitale à la musique dans tous les domaines de la vie religieuse. Le chant hassidique, qui s’épanouit à partir du milieu du XVIIIe siècle, constitue une phase créatrice importante dans le domaine de la musique juive et un trait d’union entre la musique religieuse et la musique populaire. Le ムasîd reconnaît à une mélodie chantée une puissance stimulatrice et magique, c’est pourquoi il a recours à elle quand il prie ou quand il veut expliquer l’inexplicable à une personne inculte. Le mouvement hassidique a capté ouvertement des mélodies et des danses populaires indigènes en croyant ainsi «les sauver de l’état d’impureté et les sanctifier». Les répertoires des niggunîm (mélodies sans paroles) et des danses des différentes dynasties hassidiques ont exercé une influence considérable sur des œuvres savantes de certains compositeurs juifs et sur la musique populaire d’Israël.4. Pratique musicale paraliturgique et profaneParallèlement à la musique synagogale se développa une activité musicale soit en rapport avec les réjouissances familiales et certaines fêtes légales, soit du fait de la participation de musiciens juifs à la vie musicale de leur pays respectif. Lors des manifestations paraliturgiques, à l’occasion de circoncisions, de mariages, de pèlerinages aux tombeaux des Saints, on pratiquait des instruments et on chantait en hébreu ou en langue étrangère. Dans tous les cas, la musique jouée ou chantée était plutôt de nature profane et elle oscillait entre le folklore et la musique savante. Cette pratique se maintint dans tous les pays de la Diaspora malgré les âpres condamnations des autorités rabbiniques. En outre, de nombreux musiciens professionnels juifs ont joué, en dehors de leur communauté, un rôle prépondérant dans plusieurs pays de l’Orient, notamment en Iraq, au Maroc, en Andalousie, en France, comme jongleurs ou troubadours, et en Allemagne comme minnesänger . À ce sujet, il convient aussi de signaler les formations des musiciens ambulants connus sous le nom de bad ムonîm (clowns) et klezmorim (groupes d’instrumentistes jouant sans le recours à aucune musique notée), dont l’existence est attestée depuis le XVIe siècle.5. Théorie musicaleLa floraison de la littérature relative à la musique dans le monde musulman à partir de la seconde moitié du IXe siècle a donné à certains auteurs juifs l’impulsion d’inclure ce sujet dans leurs écrits philosophiques, littéraires, médicaux ou autres. Les rares textes d’auteurs d’Orient et d’Occident que l’on possède ne sont aucunement des traités de musique juive et en majorité ne constituent que des fragments ou des chapitres compilés, adoptés ou traduits de l’arabe et du latin. Parmi les auteurs et les adaptations les plus célèbres, on peut mentionner: Sa‘adia Gaon (892-942), Yehuda hal-Levi (1080 env.-1142 env.), Josef b. ‘Aqnîn (1160 env.-1226), Yehuda al- ネarîzî (1170-1230), Šem- ヘov Falquera (1225-apr. 1280), Qalonimus b. Qalonimus (1286-apr. 1328), Lévy b. Geršon (1288-1344), Profiat Duran (env. 1400).6. La musique folkloriqueLes circonstances dans lesquelles a vécu le peuple juif dans la Diaspora ne permettaient pas, d’une part, le développement de certaines catégories de musique folklorique et, d’autre part, certaines formes étaient intimement liées aux manifestations paraliturgiques. Néanmoins, il existe un patrimoine riche de chants et de danses folkloriques qui ou bien s’exprime dans les dialectes parlés par les Juifs (yiddish, judéo-espagnol, judéo-arabe, araméen) ou bien est bilingue. Chants de circoncision et de noce, berceuses, romances d’amour, chants épiques et historiques, ballades et lamentations sont quelques-unes des formes très répandues dont la nouvelle musique populaire d’Israël a cherché à s’inspirer. En 1908, une société fut créée à Saint-Pétersbourg en vue de collecter et de préserver le folklore juif. Elle encouragea, à l’exemple des écoles nationales, la création d’une musique savante fondée sur des thèmes folkloriques. Les efforts d’exploration et de propagation ont stimulé la recherche, qui atteint son point culminant entre 1914 et 1932 avec le recueil monumental de A. Z. Idelsohn: Thesaurus of Hebrew-Oriental Melodies (Leipzig). Les travaux d’Idelsohn furent poursuivis à l’université hébraïque de Jérusalem par Robert Lachmann (1882-1939), par E. Gerson-Kiwi, et, par la suite, dans le cadre du Centre de recherche de la musique juive en Israël.
Encyclopédie Universelle. 2012.